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Azertyuiop à Versailles - Ann Rocard
Que le jardin du château de Versailles est agréable ! Des fleurs de tous les côtés... Hum, je me sens revivre.
Soudain, une main se pose sur mon épaule et une voix caverneuse me dit :
« Comment allez-vous, cher monsieur Azertyuiop ? »
Je me retourne. Qui est donc ce bonhomme ? Que me veut-il ?
« Comment connaissez-vous mon nom, monsieur lInconnu ?
Il est écrit sur votre visage, cher monsieur Azertyuiop ! »
Sur mon visage ? Il est complètement fou ce bonhomme-là ! Je sors discrètement une petite glace de ma poche... Incroyable ! Sur mon front sont tracées quelques lettres majuscules : AZERTYUIOP !
Le drôle de bonhomme sourit :
« Vous voyez bien que jai raison. Dailleurs, je ne me trompe jamais. »
Que marrive-t-il ? Jai dû prendre un coup de soleil sur la tête.
Le bonhomme est toujours là, guettant mes réactions. Il semble bizarre : une perruque blonde, des moustaches en bataille, un gros nez jaune, un sourire bête...
« Oh, là, monsieur Azertyuiop ! Le nez jaune : passe encore. Mais le sourire bête : je ne vous permets pas de vous moquer ainsi de moi ! »
Ça alors : cet homme lit dans mes pensées ! Il faut que je men aille dici le plus vite possible. Vite : un hôpital ! Appelez les pompiers ! Je suis en train de devenir fou à lier !
Je veux menfuir, mais lhomme me retient et fronce les sourcils :
« Calmez-vous, monsieur Azertyuiop ! Vous nêtes pas fou. Vous ne rêvez pas non plus ! Vous êtes bien dans le parc du château de Versailles. Mais ne trouvez-vous pas votre costume un peu ridicule ? »
Ridicule, mon complet du dimanche ? Ridicule ? Au contraire, il est de la dernière mode : gris à rayures bleues !
Mais le bonhomme se moque de moi :
« Gris à rayures bleues ? Eh, eh, eh... un complet rayé : je suis sûr que personne noserait porter un vêtement pareil ! »
Oh ! Ce casse-pieds va se prendre mon poing sur le nez.
Mais que se passe-t-il encore ? Cet homme bizarre a changé de coiffure : il porte à présent une perruque poudrée. Il est déguisé en Louis quelque chose...
Lhomme hoche la tête et conseille :
« Cher monsieur Azertyuiop, à votre place, je changerais de costume. Le ridicule tue encore à notre époque. Nous ne sommes pas au temps des rockers. »
Soudain, je découvre des passants, eux aussi déguisés. Ça y est : je comprends enfin ce qui se passe ! On est en train de tourner un film et cet homme bizarre nest quun acteur qui se moque de moi.
Mais le bonhomme simpatiente :
« Azertyuiop, ai-je lair de mamuser ?
Non, monsieur !
Est-ce que je ressemble à un acteur, monsieur Azertyuiop ?
Peut-être...
Voyez-vous des caméras ?
Non, monsieur !
Et là-bas, près du hameau, apercevez-vous quelquun ? »
Jécarquille les yeux : on dirait la reine Marie-Antoinette et le roi Louis XVI ! Quand je raconterai cela à mes amis, ils ne me croiront certainement pas.
Le bonhomme mentraîne dans un coin :
« Ce sont réellement Marie-Antoinette et Louis XVI ! Comte Azertyuiop, un peu de tenue à présent !
Comte, moi ?
Mon cher Comte, arrêtez de faire limbécile ! »
Le bonhomme me tend alors un costume, une perruque et des souliers, et il mexplique à voix basse :
« Nous sommes dans une période de troubles, en France. Louis XVI a réuni les états généraux.
Il y belle lurette que je suis au courant !
Comte Azertyuiop, ne faites pas de mauvais esprit ! Marie-Antoinette profite de ses derniers beaux jours... »
Soudain, jéclate de rire : jai vraiment affaire à un fou qui croit vivre deux siècles en arrière.
« Ah, ah, ah ! Écoutez, monsieur le duc de Truc-machin-chouette, jen ai assez de toutes vos histoires. Fichez-moi la paix !
Comte Azertyuiop, vous devenez grossier. Je vais me fâcher tout rouge... »
Sans me méfier, je lui réponds aussitôt :
« Allez-y ! Nhésitez pas ! Jai hâte de voir ce que donnera un nez jaune virant au rouge... Ah, ah, ah ! »
Vlan ! Jai à peine le temps dapercevoir un énorme poing... et je mécroule, assommé.
Quand jentrouvre les yeux, je ne reconnais rien autour de moi. Des murs gris ? Des barreaux aux fenêtres ? Où suis-je ? Et pourquoi ai-je une bosse sur le front ? Tout à coup, la balade au parc du château de Versailles me revient à lesprit.
« Nom dune pipe ! Je ne rêvais pas ! Me voici prisonnier ! Ah, ce sale bonhomme, si je le tenais, je lui tordrais le cou ! »
À cet instant précis, la porte souvre et lhomme bizarre apparaît :
« On me traite de sale bonhomme, mon cher Comte ?
Oui ! Pourquoi suis-je en prison ?
Mais cest la révolution de 1789 ! répond le bonhomme en soupirant. Vous ne connaissez pas votre histoire de France ?
La réréré... la rérévo ?
Arrêtez de bégayer, Comte Azertyuiop, ça ne changera pas le cours de lhistoire. »
Dehors, des cris fusent de tous côtés. Je mapproche de la petite fenêtre grillagée et je referme aussitôt les yeux. Incroyable ! Il y a des révolutionnaires partout : des milliers de sans-culottes culottés ! Les livres dhistoire nont pas menti !
« Surtout, soyez patient : votre tour viendra, dit le bonhomme.
Quel tour ? Un tour de magie ou un tour de France à vélo ?
Jespère que vous aurez autant dhumour quand vous glisserez votre tête sous le couperet de la guillotine, mon cher Comte.
Taisez-vous ! Je ne suis pas Comte ! Je suis Azertyuiop, livreur de glaces pour un grand restaurant. »
Lhomme me lance un regard mauvais et ricane :
« Pendant que vous dormiez, le Tribunal révolutionnaire vous a condamné à mort... Eh, eh, eh... »
Quoi ? Je porte les mains à mon cou, mon cou si délicat, si sensible. Guillotiné ? Moi, Azertyuiop, qui nai jamais fait de mal à une mouche ? Moi, lami des hommes et des animaux ?
Et lhomme referme la porte...
Sur la place, la guillotine est dressée. Un homme monte les marches une à une. Cet homme a les mêmes yeux que moi, les mêmes cheveux que moi... Cet homme me ressemble ! Autour de moi, les murs se mettent à danser, à tourbillonner... et je tombe, sans connaissance.
Plusieurs jours ont passé. Un matin, une femme me retrouve couché sous une porte cochère, non loin de la place de la Bastille. Ma nuque est toute gonflée et une bosse violacées orne mon front.
Jentrouvre les yeux... La Bastille a disparu ; plus de prison ni déchafaud, plus de bonhomme au nez jaune...
Les passants me regardent, étonnés. Les plus inquiets préviennent lhôpital le plus proche. Et moi, Azertyuiop, je ne comprends toujours pas ce qui mest arrivé.
Quelquun pourra-t-il me lexpliquer ?