CHALLENGE 2016
NOUVELLES, POÈMES ou PIÈCES
et RÉALISATIONS qui sy rapportent
(textes-île, céramiques, photos...)
1er janvier : Un nouveau challenge démarre. Je cherche le fil conducteur...
A bientôt !
Et bonne année !
7 janvier : Je reprends l'idée d'associer un texte et une réalisation (photo, texte-île, céramique, acrylique...), mais de façon moins astreignante que l'an dernier. Le lieu unique était difficile à tenir, ce qui ne m'empêchera pas de revenir au Mont-Saint-Michel de temps en temps...
Pour démarrer ce nouveau challenge, tout d'abord une nouvelle grinçante à grignoter du bout des dents, écrite il y a une dizaine d'années...
Parallèlement, je mets en place un autre "challenge" sur le thème du mensonge. N'hésitez pas à le découvrir !
Menteurs en scène
...
1 - À GRIGNOTER DU BOUT DES DENTS...
Ann Rocard
Il serra les dents. Il avait besoin de toute son énergie pour faire face à ladversité. Et ladversité sonnait à la porte avec insistance.
Il appuya sur on ; Pavarotti envahit lespace une présence forte qui lui serait nécessaire.
Dune main, il dévissa son nud papillon nayant jamais supporté les cravates qui pendouillent sous le nombril et le laissa voler de ses propres ailes. Puis il alla ouvrir. Apparemment neutre.
« Entrez, chère amie. Installez-vous. Faites comme chez vous ! »
Chez elle, il ny avait ni fauteuil inclinable ni lavabo circulaire ; il ne le savait que trop.
« Vous avez un petit souci ? susurra-t-il en enfilant ses gants. Carie au carré, gingivite qui sinvite ? Racontez-moi ça. »
Elle ne desserrait pas les dents et le fixait, lil assassin. Sans Pavarotti, il serait déjà mort au champ dhorreur.
Elle ôta enfin son manteau et sinstalla dans le fauteuil, les yeux exorbités à force de le tuer du regard. Les globes nallaient pas tarder à jaillir dans sa direction... Comment les remettrait-il en place ? Du bout des doigts ou avec une pince à escargot ?
« Tu ne mécoutes pas ! » gronda la femme.
Ah, elle avait ouvert la bouche ; tout nétait pas perdu. La pendule approuva dun tic-tac. temps filait et il navait quune heure devant lui.
« Tu ne mécoutes toujours pas, répéta-t-elle. Tu ne mas jamais écoutée. »
Le tu était troublant après trois ans dabsence. 1095 jours sans avoir de ses nouvelles, ce qui ne lui avait pas manqué.
Il tenta de se concentrer : sa patiente impatiente avait encore cette voix grave et caressante qui avait su lenvoûter.
Elle se lança dans une diatribe quil suivit dune demi-oreille. Une avalanche de mots et syllabes cyanurés, censés lui servir le passé sur un plateau. Pavarotti devait se retourner dans la chaîne audio, incapable de couvrir le torrent déchaîné.
Il ajusta ses gants, agacé. Il aurait dû augmenter le son, mais ceut été un brin grossier.
Il perçut soudain un « Ecoute-moi ! » au-dessus de la mêlée un rugbyman plus haut que ses petits camarades et la comparaison lui donna le fou rire. Il se retourna pour dissimuler son hilarité et recouvrer un masque impassible.
Puis il suivit le cours de ses pensées, faisant mine dêtre attentif. Cest vrai : il nécoutait pas. Il avait la capacité de penser et agir en même temps sur deux ondes différentes. Agir ? Impossible pour linstant davoir une action quelconque, autre que limmobilité.
Il avait toujours eu une dent contre les patients qui linterrompaient pour déblatérer. Souvent au moment crucial, quand il brandissait la seringue anesthésiante ou la roulette russe !
Ce flot ininterrompu de mots dont il préférait ne pas saisir le sens lépuisait... Quand diable allait-elle la fermer oui, lexpression était triviale, il l'admettait volontiers , la fermer sur le plan vocal et louvrir pour quil puisse faire son travail. Ouvrir largement sa bouche sensuelle, mais hargneuse.
Non, elle caquetait de plus belle. Une poule encore jolie, ma foi.
Avant, ailleurs, autrefois, il lappelait ma poulette dans lintimité. Ma poulette à linstant suprême avant quil coquerique.
Pavarotti poussa un cri, et elle hurla, excédée :
« Tu ne veux pas arrêter ça ? Je suis allergique à lopéra depuis que...
Depuis ?
Tu le sais bien. »
Non, il ne le savait pas.
Avant, ailleurs, autrefois, elle avait partagé avec lui cette passion de la musique. Que sétait-il passé pendant ces trois années dabsence ? Pas de nouvelles, bonnes nouvelles ! Il sen était lavé les mains, dautant plus fort après chaque patient.
Pourquoi était-elle revenue grincer des dents dans son cabinet ? Elle navait que lembarras du choix ; les dentistes couraient les rues.
« Jai un associé, parfait en tous points... commença-t-il.
Tu me vires à nouveau ?
À nouveau ? Quoi ? »
Il haussa les épaules, levant les yeux au ciel auquel il ne croyait pas. Il ne lui avait rien promis. Virée de où ? Ils navaient pas vécu sous le même toit. Un soir, il lavait trouvée chez elle, les veines des poignets tailladées. Des mots de sang tracés sur le miroir de la salle de bains : tu ne mécoutes jamais. Il nécoutait personne, pourquoi elle plutôt quun autre ? Le Samu était arrivé à temps ; hôpital psy et compagnie.
Il avait tourné la page. Une page rouge reléguée dans un coin tranquille de son inconscient. Et il sétait plongé avec délice dans lunivers des opéras.
En solitaire.
La traversée dun Atlantique sonore. Il chantait avec Pavarotti, Callas et les autres. Hors du monde, hors du temps.
Il jeta un coup dil à la pendule : dans dix minutes, le prochain patient sonnerait le glas des amours mortes. Dici là, il devait la calmer, employer les grands moyens avant de la raccompagner à la porte, et avec elle, il ny en avait quun : murmurer des mots doux, en prenant lair bête et énamouré.
« Je vous... »
Non, il devait la tutoyer comme avant, ailleurs, autrefois.
« Je taime, ma poulette. Tu es la femme de ma vie... »
Le ton y était, la voix chevrotante, un soupçon démotion dans le tremblement des cils...
Elle se redressa, offusquée :
« Menteur ! Tu as toujours menti comme un arracheur de...
Je sais, reconnut-il. Pas besoin de le préciser. »
Il saisit une tenaille. La deuxième solution simposait, la première nayant pas porté ses fruits.
Bientôt, la poule naurait plus de dents.
pour Christophe et Chantal
SOMMETS
Chez Thomas et Camille Greyer Diener
2- J'IRAI VERS LES SOMMETS
Ann Rocard
Avec toi, sans frémir,
jirai vers les sommets.
Là où la neige est bleue,
où la neige est caresses.
Quand les flocons de lune
volent vers les étoiles.
Avec toi, je suivrai
les chemins de la vie,
lhiver sera pour nous
le refuge des cimes.
Avec toi, pas à pas,
jirai vers les sommets
et je te confierai
les rêves qui mhabitent.
Les songes sont autant
de fleurs qui sapprivoisent.
Nous saurons, chaque jour,
les offrir en partage.
Sans craindre les rochers
qui se dressent parfois,
jirai vers les sommets,
jirai vers les vallées
quand le ciel et les monts
noffrent plus de limites.
Je glisserai sans fin
sur les nuages fous,
là où la neige est rêve,
où la neige sinvite.
Où la neige sinvente
un nouvel univers.
Je cueillerai pour toi
des cristaux invisibles,
jen ferai des bouquets
de flocons éternels
et je dirai au monde
que je crois à lamour
qui porte les montagnes,
les déplace sans cesse,
défiant les tempêtes
et les nuits parfois longues.
Avec toi, tout sourire,
jirai vers les sommets.
Là où la neige danse
dans les lueurs du soir,
là où la neige rêve,
où la neige murmure
des mots qui nous rassurent.
pour Camille et Thomas qui se sont mariés le 9 janvier 2016
MIROIRS DE L'ILLUSION
50 x 50, cadre compris - Ann Rocard - 2016
Sur la photo, on ne voit pas qu'il s'agit de vrais miroirs...
3- DÉSIRÉ
Ann Rocard
Il était beau comme un dieu un véritable Apollon ! et se croyait sorti de la cuisse de Jupiter.
Un adolescent sans bouton ni la moindre imperfection. Le regard azur, le sourire étincelant, la coupe dernier cri.
Même son prénom, qui aurait pu prêter à rire, ne déclenchait quextase... ou amertume chez ses concurrents. Désiré ! Un prénom désuet qui lui allait à merveille car il aimait se faire désirer et en jouait avec perversité.
Tel Narcisse, il admirait chaque jour son reflet, préférant le miroir de la salle de bains à la fontaine publique. Il évitait ainsi le risque de noyade.
Mais toute médaille a son revers, et quand le miroir explosa, ce fut pour annoncer soixante-dix-sept ans de malheur.
Malheur ? Non...
Désiré ouvrit ses yeux azur sur la réalité, relégua Jupiter, Narcisse et Apollon dans un dictionnaire de mythologie, puis sortit tête haute bien que défiguré dune épreuve quil naurait souhaitée à quiconque.
MESSAGES CACHÉS - Ann Rocard - 2016
20 X 30 - Acrylique sur bois
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MESSAGES CACHÉS - Ann Rocard
Autres éclairages
4- MESSAGES
Ann Rocard
Message caché, message mensonges
message si sage, message sans songes.
Message désert quon croyait vibrant,
si vivant, ma sur, et vibromasseur.
Message de deuil, de pics et décueils.
Message dun soir, argenté de lune,
message despoir entre chien et loup.
Message de nuit qui parfois ségare
quand Saturne pleure un anneau perdu.
Message muet dans lobscurité
dans lorage enrage et gronde sans fin.
Message secret quand laube séveille,
essaime un soupir et des perles dor
qui se posent nues, simposent encore
mais sans dévoiler leurs pensées intimes.
Message caché quon voudrait connaître
dont le sens inné souvent nous échappe.
Message perdu quon voulait transmettre
et que le silence a su dérober,
noyer de chagrin un jour de tempête.
Message sans mots ni grammaire étrange
glissant sur le fil de vies inconnues
qui se croiseront des années plus tard
sur la voie lactée, le chemin de brume,
la ligne de mire de lhorizon parme.
Message sursaut, message à venir,
fleur qui sépanouit ou cristal de roche
quun rien illumine en éclat de rire.
Message sifflé par le vent de mer,
message soufflé sur un air de jazz
quon recueille enfin au cur dune paume
et qui se transforme en lignes de main.
...
5- QU'AURAIS-JE DÛ FAIRE ?
Ann Rocard
Sur le ciel dévasté,
jai vu pleurer le monde.
Les larmes des migrants
délavaient locéan.
Dans la brume éperdue,
jai entendu les cris
de peuples qui fuyaient
leur pays, la misère,
la guerre où les tranchées
népanchaient plus le sang.
A lombre de lécume,
jai caressé des mains
qui se tendaient vers moi,
ayant perdu la force
de prononcer des mots
et dappeler à laide.
Dans la nuit sans étoiles,
jai senti le parfum
des enfants dont les rêves
se réduisent en cendres
en passant les frontières.
Et jusquau lendemain,
jai goûté leur chagrin,
jai partagé leur peine...
Puis ils se sont éteints,
abandonnés de tous...
Et je respire encore...
murmurant sans relâche :
Mais quaurais-je dû faire ?
...