LE CARNAVAL DE LOGRE
Ann Rocard
Potofeu est un ogre terrible : dodu, ventru, joufflu... avec des oreilles en feuilles de chou et un gros nez en patate.
Il a toujours faim.
Il dévore tout ce quil trouve sur son chemin : les parents, les enfants, les animaux domestiques et les bêtes sauvages.
Et il répète dès son réveil :
« Jai faim, jai soif, je veux manger ! Je veux mon petit déjeuner au lit ! »
Aussitôt sa femme Tartopomme lui apporte un seau rempli de café bouillant et chaque jour, elle lui dit :
« Quand tu auras fini de boire, tu pourras sortir de la maison.
Tu as senti la chair fraîche au-dehors ? demande Potofeu.
Plutôt deux fois quune ! » répond Tartopomme.
Tous les matins, cest la même chose : logre avale son café. HOP ! Il saute hors de son lit. Il enfile son caleçon à fleurs et ses chaussures de tennis. HOP ! Il bondit à lextérieur de la maison... Gare à ceux quil trouvera sur sa route !
Aujourdhui Potofeu se réveille de très bonne humeur et il appelle sa femme logresse :
« Jai faim, jai soif, je veux manger ! Je veux mon petit déjeuner au lit ! »
Aussitôt Tartopomme lui apporte un seau rempli de café bouillant mais elle najoute rien.
Potofeu la regarde, un peu inquiet :
« Tu as senti la chair fraîche au-dehors ? » demande-t-il.
Logresse secoue la tête; elle na rien senti du tout : pas le moindre parent ! Pas le moindre enfant ! Ni animal domestique ni bête sauvage ! Aux alentours, il ny a pas un seul chat !
Logre grince des dents : il a faim ! Il a toujours faim ! Et il se tourne vers sa femme :
« Dis donc, Tartopomme ! Si tu nas rien senti, cest peut-être simplement parce que tu es enrhumée.
Pas du tout ! dit logresse. Il ny a plus personne près de notre maison et je ny suis pour rien. »
Vexée, elle sort de la chambre en claquant la porte.
Que va faire le terrible Potofeu ?
Il boit son café, shabille et part à la recherche de son petit déjeuner.
Les routes sont désertes : pas une seule voiture ni un seul vélo ! Les agriculteurs ne travaillent pas dans leurs champs. Les animaux ont disparu !
Logre marche pendant plusieurs heures. Enfin, il aperçoit une petite ville :
« Bizarre, grogne-t-il. Je ne vois personne mais jentends de la musique... »
Il sapproche : la ville est en fête. Tous les habitants sont déguisés et masqués. Ils ont même invité les animaux des environs.
Et tous dansent et chantent. Ils lancent des confettis et des serpentins. Ils rient, rient, rient comme des fous.
Les yeux pétillants de gourmandise, Potofeu ricane :
« Eh eh eh... Rira bien qui rira le dernier ! Hum... Pour linstant, ils sont beaucoup trop nombreux. Sils découvrent que je suis un ogre, ils arriveront à mattraper et à me tuer. Il faut que je me déguise. »
Logre cherche donc un costume...
Au sommet dune rue en pente, il finit par découvrir une paire de lunettes noires, une drôle de casquette et un énorme tonneau dans lequel il se glisse :
« Comme ça, personne ne me reconnaîtra ! »
Potofeu sapproche sur la pointe des pieds.
Il hésite... Qui va-t-il manger en premier : la maîtresse décole déguisée en chien ou le chien déguisé en maîtresse décole ?
À ce moment-là, un petit garçon éclate de rire :
« Regardez tous ce bonhomme dans son tonneau ! Quil est rigolo !
Je ne suis pas rigolo du tout ! gronde Potofeu furieux. Cest moi le plus terrible de tous les ogres du monde et je vais vous dévorer ! »
Potofeu veut se mettre à courir mais il dérape sur les pavés... Vlan ! Il tombe sur le côté ! Aussitôt, le tonneau se met à rouler, rouler, rouler du haut de la ville jusquen bas !
Et tous les passants sécrient :
« Regardez ce drôle de tonneau ! Quil est rigolo ! »
Quand le tonneau atteint le bas de la rue, il sarrête enfin.
Potofeu en sort à quatre pattes : sa tête tourne, tourne, tourne...
Il voit des étoiles dorées de tous les côtés.
« Jai faim, jai soif, je veux manger ! Je veux mon petit déjeuner ! » hurle logre furieux.
Et il tend les bras pour attraper les passants.
Catastrophe ! Comment sen débarrasser ?
Soudain, le marchand de jouets a une idée : vite, il va chercher un gros mannequin en plastique et il le pousse vers logre en disant :
« Bon appétit ! Bon appétit ! »
HOP ! Potofeu bondit. Il ouvre une large bouche et avale le mannequin dun seul coup.
Personne ne bouge plus. Personne ne parle plus.
Dabord surpris, logre grimace. Puis il se tortille en pleurnichant :
« Pouah ! Jai mal à lestomac ! Pouah ! Je naime vraiment pas ce bonhomme-là ! Pouah trois fois pouah ! »
Alors Potofeu ôte ses lunettes et sa casquette. Il fait demi-tour et décide :
« Je ne mangerai plus jamais de chair fraîche... Ah ça non ! Plus jamais jamais jamais ! »
Et il retourne chez lui, le ventre vide.
Dans sa maison, il retrouve sa femme Tartopomme, ravie dentendre son mari répéter :
« Plus jamais de chair fraîche... Jamais jamais jamais ! »
Maintenant, chaque matin, quand Potofeu crie :
« Jai faim, jai soif, je veux manger ! », Tartopomme lui apporte un seau de café bouillant et une montagne de tartines grillées.
Et si logre a maigri, cest beaucoup mieux ainsi.