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NOUVEAU : Le monstre-à-bisous

LE MONSTRE-À-BISOUS
Ann Rocard



Une histoire, parue il y a très longtemps aux éditions Lito (je la présentais alors sous forme de spectacle), puis éditée plus tard aux éditions Aivey.






- Chapitre 1 -
Smouk, le monstre-à-bisous




Smouk n'était pas un monstre ordinaire :
le museau allongé, rouge tomate de la tête aux pieds,
avec trois drôles de champignons sur le crâne.
Il voulait embrasser tous les gens qu'il rencontrait.
Mais il était tellement gluant, baveux, collant...
que personne ne se laissait approcher
et qu'on l'avait surnommé : le monstre-à-bisous.


En fait, Smouk était très malheureux.
Quand il croisait d'autres monstres sur le chemin,
ceux-ci s'enfuyaient en criant :
« Hou ! Voilà Smouk, le gluant, le baveux, le collant !
Beurk... il est dégoûtant ! »
Pourtant ces monstres n'étaient pas beaux du tout ;
ils avaient de longues pattes velues
et des têtes en forme de chou !


Quand Smouk croisait sur le chemin
les trois enfants de la ferme voisine,
ceux-ci filaient à toute vitesse en hurlant :
« Au secours ! Voilà le monstre-à-bisous !
Le gluant, le baveux, le collant !
Beurk... il est dégoûtant ! »
Pourtant ces enfants ne sentaient pas bon du tout ;
ils s'amusaient à sauter à pieds joints dans la gadoue
et à escalader le tas de fumier.
Oui, vraiment, Smouk était le plus malheureux
de tous les monstres.


Il vivait dans une cabane qu'il avait installée
au sommet d'un arbre :
une jolie cabane en bois
avec des clochettes au bord du toit.
De chez lui, il pouvait voir tous les environs.
Grâce à ses jumelles, il observait même
ce qui se passait à la ferme aux pommes,
la ferme de monsieur et madame Dupépin.


- Chapitre 2 -
Il y a du nouveau à la ferme aux pommes !




Ce matin-là, Smouk sortit ses jumelles
et il regarda les environs.
Dans la cour de la ferme aux pommes,
quelque chose l'intrigua :
ce n'était plus trois enfants qui jouaient dans la cour...
mais quatre !

Ravi, Smouk se frotta yeux ; non, il ne rêvait pas !
Et il s’écria :
« Oh ! Oh ! Par ma bave de crapaud !
Il y a du nouveau... Ce n'est pas trop tôt ! »


Le monstre sauta au pied de l’arbre
et il se dirigea vers la ferme sur la pointe des pattes.
En effet, une petite fille était arrivée la veille au soir.
Une petite fille aux boucles noires et aux yeux verts.
Elle venait passer les grandes vacances chez ses cousins,
Arnaud, Charly et Amélie Dupépin.


Dans la cour de la ferme aux pommes,
les cousins Dupépin riaient aux éclats.
Arnaud agitait les bras :
« Viens jouer avec nous, Ariane !
— Le premier qui arrive au sommet du tas de fumier
a gagné ! cria Charly qui s’élança à toute vitesse.
— Elle n'est pas drôle, cette cousine, soupira Amélie.
Elle ne sourit jamais et elle ne veut rien faire. »


Ariane secoua la tête et alla s'asseoir
dans un coin de la cour, sans bouger.
Ses cousins finirent par s'en aller.
Amélie fit la grimace et déclara :
« Aucun jeu ne lui plaît... tant pis pour elle !
Elle n’a qu’à rester toute seule. »
Et Amélie entraîna ses frères jouer à cache-cache
dans le grenier plein de toiles d’araignée.


Quelqu'un avait tout vu et tout entendu :
un affreux petit monstre gluant, baveux, collant,
très étonné de découvrir une petite fille
propre de la tête aux pieds.
Pas une tache sur sa salopette.
Pas de moustache en chocolat autour de sa bouche.
Le nez essuyé et les cheveux coiffés.


Caché derrière un buisson, Smouk chuchota
en écarquillant les yeux :
« Oh ! Oh ! Par ma bave de crapaud...
Je ne savais pas que ça existait...
On dirait une fée sans baguette
ou une princesse en salopette... »
Et il décida que cette petite Ariane deviendrait son amie. Comment ferait-il ? Ça, il ne le savait pas encore...
Mais avant la fin des vacances, il y parviendrait !



- Chapitre 3 -
Des cœurs partout !




Le monstre-à-bisous s'éloigna, sautillant et chantant
à travers les prés piquetés de boutons d’or :
« Par ma bave de crapaud,
ah, c'est vraiment rigolo...
Ce que j'aime, savez-vous,
ce sont les bisous-bisous ! »

Tout content, il grimpa au sommet de son arbre,
il sortit ses jumelles et observa la petite Ariane.
Tagada tagada... son cœur se mit à battre,
à battre à cent à l’heure.
Tagada tagada... un vrai cheval au galop.
Alors Smouk chanta de plus belle
en dansant le rock-zouzou,
pattes en l’air et tête en bas :
« Par ma bave de crapaud,
au pas, au trot, au galop !
Je suis le roi des bisous
et je l’aime un peu, beaucoup ! »


À partir de ce jour-là, Smouk n’était plus malheureux
comme avant.
Il dessinait des cœurs partout :
sur les troncs d'arbre et les buissons,
sur les barrières et les cailloux.
Les monstres des environs le montraient de la patte
et se moquaient de lui :
« Hou ! C'est Smouk, le gluant, le baveux, le collant,
qui est devenu fou ! Hou ! »
Mais non ! Le monstre-à-bisous n'était pas devenu fou.

Il était simplement amoureux d'une petite fille
qui ne parlait jamais, qui ne jouait jamais,
une petite fille un peu bizarre qui restait toute la journée assise dans la cour de la ferme voisine.



- Chapitre 4 -
Drôle de poisson rouge !




La semaine suivante, un jour où il faisait très chaud,
Ariane s'éloigna de la ferme aux pommes.
Smouk l'aperçut du haut de son arbre.
Hop ! Il sauta sur le sol et il la suivit
sans se faire remarquer.
« Oh ! Oh ! Par ma bave de crapaud,
il y a du nouveau... Ce n'est pas trop tôt. »


La petite fille marcha longtemps.
Enfin, elle s'arrêta au bord d'un ruisseau.
Elle se pencha au-dessus de l'eau et que vit-elle ?
Son visage, bien sûr, qui se reflétait à la surface...
mais aussi quelque chose
de gluant, de baveux et de collant.
Ariane s’étonna :
« Ça alors ! Qu’est-ce que c’est ?
Je n'ai jamais vu un poisson rouge comme ça...
— Ce n'est pas un poisson », dit une voix derrière elle.


La petite fille se retourna : une bestiole rouge tomate
se tenait debout sur la rive.
Ariane ne sursauta même pas en l’apercevant.

Surpris, Smouk tapota les trois champignons,
perchés sur son crâne, et il demanda :
« Oh ! Oh ! Par ma bave de crapaud...
Tu n'as pas peur de moi ?
— Non, dit la petite fille.
— Pourtant je suis un monstre. »
Ariane haussa les épaules :
« Je n’ai pas les yeux dans ma poche. Je le vois bien.
— Je suis même le monstre le plus gluant,
le plus baveux, le plus collant du monde, insista Smouk.
— J’en connais des pires », dit la petite fille.


En vérité, Ariane n'avait jamais vu de monstre
en chair et en os.
Les monstres des livres avaient toujours
un regard mauvais et des dents pointues,
mais celui-ci avait l'air plutôt gentil.



- Chapitre 5 -
Pouah ! Des microbes !




Smouk la salua et se présenta :
« Bonjour ! On m'appelle le monstre-à-bisous.
Mais tu es tellement propre
que j'aurais peur de t’éclabousser
en te faisant un bisou dans le cou ou sur la joue. »

Ariane sursauta et poussa un cri :
« Aaah non ! Pas de bisou, ça donne des microbes !
— Des mimis ?
— Des microbes ! Pouah ! Et d’horribles maladies ! »
ajouta la petite fille.

Elle détestait se salir. Elle détestait avoir la moindre tache. Elle ne voulait jamais pique-niquer
pour ne pas manger avec ses doigts.
Mais le pire de tout, c'étaient les bisous gluants,
baveux et collants !
« Beurk... C’est dégoûtant ! »


Smouk recula d'un pas :
« Par ma bave de crapaud, ne t'inquiète pas.
Je resterai à un mètre de toi, c'est promis.
Pas de mimis... de microbes ni de maladies. »

Il fit comme si ça lui était égal,
mais il se sentit soudain très triste.
Il avait envie de pleurer,
de verser des larmes de crocodile,
et pour qu’Ariane ne s'en aperçoive pas,
il plongea dans le ruisseau.
PLAF !
« Ça ne va pas ? s’inquiéta la petite fille.
— Si, si, répondit le monstre rouge.
Par ma bave de crapaud, j'avais trop chaud, voilà tout. »


Quand Smouk sortit de l'eau,
il avait l'air un peu moins affreux que d'habitude.
Il poussa un long soupir et il s’assit dans l’herbe,
encore plus malheureux qu’autrefois.
« Si on allait se promener ? proposa Ariane.
Tu pourrais me faire visiter les environs.
— D'accord », dit le monstre
en bondissant sur ses pattes arrière.



- Chapitre 6 -
L’orage




Smouk et Ariane s'éloignèrent sur le sentier.
Peu à peu, le ciel devint très sombre.
Quelques gouttes de pluie commencèrent à tomber.
Des gouttes de plus en plus grosses !
Smouk fronça ses sourcils de monstre :
« Oh ! Oh ! Par ma bave de crapaud, il va y avoir un orage.
— Rentrons vite ! » décida la petite fille.


Ils se mirent à courir sous la pluie battante,
en direction de la ferme aux pommes.
Le vent soufflait... Une vraie tempête !
« Je vais être toute décoiffée, pleurnicha Ariane.
— Ce n'est pas grave, dit Smouk. Tu te repeigneras !
— Je vais être toute mouillée...
— Ce n'est pas grave, répéta Smouk. Tu t'essuieras ! »


Soudain, Ariane glissa dans une flaque
et elle atterrit la tête la première dans la gadoue.
« Beurk... C’est dégoûtant ! grogna la petite fille.
Je suis toute sale maintenant ...
— Ce n'est pas grave, dit Smouk. Tu te laveras ! »


Ariane se releva et réfléchit :
le monstre-à-bisous avait peut-être raison.
Au même instant, un éclair zigzagua
au-dessus des grands chênes et le tonnerre gronda.
Vite, Smouk entraîna Ariane :
« Par ma bave de crapaud,
il ne faut jamais rester sous un arbre
quand il y a de l’orage. C’est très dangereux.
Mettons-nous à l'abri sous ce gros rocher ! »


Un énorme caillou se dressait un peu plus loin …
sur le côté, il y avait une minuscule caverne.
Le monstre et la petite fille s’accroupirent à l’intérieur.
Ouf ! Bien à l’abri de la pluie, du vent et de la foudre.



- Chapitre 7 -
Un cœur et six lettres !




Et là, qu'est-ce qui était gravé sur le rocher,
dans la caverne ?
Un cœur et six lettres majuscules : ARIANE.
La petite fille sourit et demanda :
« C'est toi qui as dessiné et écrit ça ? »
Smouk fit oui de la tête
et il devint encore plus rouge qu’avant...
Son secret était découvert !


« Je ne savais pas que les monstres
pouvaient être amoureux »,
dit Ariane d’une voix douce.
Smouk fit encore oui de la tête, et cette fois-ci,
il devint rouge comme trente-six tomates,
comme une tonne de tomates bien mûres !


L'orage s'était calmé. Il ne pleuvait presque plus.
Ariane regarda sa salopette tachée, ses mains noires,
ses cheveux couverts de gadoue,
ses sandales trempées... et elle éclata de rire :
« Je ne suis pas jolie du tout...
Je ressemble presque à un monstre-à-bisous.
— Ce n'est pas grave, dit Smouk.
Tu te laveras et tu changeras en rentrant chez toi ! »


Alors Ariane prit la patte du monstre
et elle y déposa un bisou.
Smouk n’en croyait pas ses yeux :
« Oh ! Oh ! Par ma bave de crapaud,
tu n’as plus peur des mimis... des microbes ?
— Juste un petit peu », dit Ariane.


Le monstre-à-bisous la raccompagna
jusqu'à la ferme aux pommes.
Là-bas, tout le monde était très inquiet.
Arnaud, Charly, Amélie et leurs parents
avaient cherché Ariane pendant deux heures.
Jean-Pierre et Cécile Dupépin allaient prévenir
la gendarmerie quand la petite fille arriva.
Arnaud agita les bras :
« Mais où étais-tu donc ?
— Elle est sale comme un cochon, remarqua Amélie.
— On ne l'a jamais vue comme ça, ajouta Charly.
— Ce n'est pas grave, dit Ariane.
Je vais me laver et me changer tout de suite. »


Ariane se retourna et lança un clin d'œil
à Smouk qui était caché non loin de là,
Smouk qu'elle irait retrouver le lendemain matin.
Jusqu’à la fin des grandes vacances,
tous les deux se promèneraient dans la campagne,
ils iraient pêcher et nager dans le ruisseau.
Ils se confieraient des tas de secrets...
ils danseraient le rock-zouzou en riant
et en chantant le refrain des bisous-bisous.



Et maintenant ?

Maintenant, le monstre-à-bisous est le monstre
le plus heureux de la Terre.
Son amie Ariane vient le voir chaque été.
Elle accepte même un petit bisou de temps en temps,
un petit bisou sur le bout des doigts,
un petit bisou gluant, baveux et collant !



Portraits de Smouk par les enfants
de l'école rue Vauvenargue - Paris 18e





********



Adaptation théâtrale en cours


Date de création : 20/09/2021 : 06:34
Dernière modification : 25/05/2022 : 07:26
Catégorie : Théâtre et narration
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